Dans le contexte économique actuel, où la compétitivité et la productivité sont devenues les maîtres mots, les questions de santé et de sécurité au travail peinent parfois à trouver leur juste place. Pourtant, de plus en plus d’experts sonnent l’alarme sur les risques que représentent le stress, les troubles musculo-squelettiques et autres pathologies professionnelles en termes d’absentéisme, de turnover et de coûts pour les entreprises. À la tête du CIAMT, Philippe Goj milite pour une prise de conscience et un réinvestissement massif dans la médecine du travail.
La santé des salariés, un enjeu économique majeur
Selon Philippe Goj, s’attaquer aux problématiques de santé au travail ne relève pas seulement d’un devoir moral pour les entreprises, mais constitue aussi un impératif économique. “Les chiffres sont alarmants” souligne le président du CIAMT. “On estime que le coût global des accidents du travail et des maladies professionnelles s’élève à plus de 20 milliards d’euros par an en France”. Philippe Goj appuie son propos en citant l’explosion des troubles psychosociaux ces dernières années : “1 salarié sur 5 est aujourd’hui exposé à un risque élevé de détresse psychologique au travail”. Des pathologies comme le stress, l’épuisement professionnel ou les dépressions ont un impact considérable sur l’absentéisme et la productivité.
Miser sur une approche globale et pluridisciplinaire
Face à ces enjeux, Philippe Goj prône une approche globale et transversale de la santé au travail. “Il ne s’agit plus seulement de dépister et traiter les pathologies existantes, mais bien de mettre en place une véritable politique de prévention en amont”. Pour ce faire, le président du CIAMT insiste sur la nécessité de constituer des équipes pluridisciplinaires associant médecins du travail, infirmiers, ergonomes, toxicologues, psychologues et spécialistes des risques professionnels. “C’est cette synergie de compétences qui permettra d’appréhender les risques dans toute leur complexité, qu’ils soient physiques, chimiques, organisationnels ou psychosociaux”.
Voici une vidéo relatant le rôle de l’entreprise pour la santé au travail :
Repenser l’environnement de travail dans sa globalité
Philippe Goj souligne par ailleurs l’importance d’une réflexion d’ensemble sur l’aménagement des espaces et postes de travail. “Il faut systématiquement analyser les situations de travail concrètes et adapter les outils, les process, l’ergonomie des postes, afin de prévenir les troubles musculo-squelettiques, les risques chimiques ou les facteurs de stress et de risques psychosociaux”. Le président du CIAMT cite en exemple le travail mené chez certains équipementiers automobiles, où chaque mouvement et geste professionnel a été méticuleusement étudié pour concevoir des postes sur mesure, limitant la pénibilité sans dégrader la productivité.
Selon Philippe Goj, “c’est cette vision d’ensemble qui fait défaut dans de nombreuses entreprises, où les questions de santé au travail sont encore trop souvent traitées au cas par cas, une fois que les dégâts sont déjà présents”.
Des entreprises pionnières, un espoir pour l’avenir
Si le chemin reste encore long, certaines entreprises visionnaires offrent déjà un éclairage positif sur ce que pourrait être une médecine du travail digne de ce nom. Philippe Goj salue ainsi les initiatives du groupe Michelin, qui a constitué en France une véritable “task force santé” de 150 professionnels pluridisciplinaires. “Les résultats sont éloquents avec une chute de 88% du taux d’accidents du travail en 10 ans”.
L’Oréal, numéro un mondial des cosmétiques, fait également figure d’exemple avec son département dédié à la Qualité de Vie au Travail. Ils déploient des campagnes de dépistage des risques psychosociaux à grande échelle, et des psychologues réalisent des bilans personnalisés pour accompagner les salariés en difficulté. C’est ce type de démarche de prévention qu’il faut généraliser.
Former, sensibiliser, responsabiliser
Au-delà du travail d’identification et de traitement des risques, Philippe Goj insiste sur l’importance de former et responsabiliser l’ensemble des équipes. “C’est un processus continu et vertueux : plus on sensibilise les salariés aux bonnes pratiques, aux gestes et postures à adopter, à l’équilibre vie pro/vie perso, plus on diminue l’accidentologie et l’apparition de troubles sur le long terme“.
Le président du CIAMT donne l’exemple du groupe de BTP Vinci, qui dispense chaque année plus de 2000 sessions de formations sur les gestes de sécurité et les premiers secours. Ou encore de Bel, l’entreprise agroalimentaire à l’origine d’un programme de e-learning ultra complet accessible depuis les smartphones.
Montrer l’exemple par le haut
Dernière clé de voûte selon Philippe Goj : l’implication totale des dirigeants et l’intégration des enjeux de santé au travail au cœur de la stratégie d’entreprise. “Quand la direction montre l’exemple et fait de cette thématique une priorité affichée, cela crée une réelle prise de conscience collective et un cercle vertueux se met en place”.
C’est ce qu’a compris l’enseigne de sport Décathlon en créant son propre institut du “bien-vivre ensemble” au travail. “Quand les valeurs de bien-être et d’épanouissement professionnel sont ancrées dans l’ADN de l’entreprise, tout le monde s’en trouve légitimement imprégné”.
Pour Philippe Goj, la médecine du travail moderne doit redevenir une préoccupation centrale pour les entreprises. “Au-delà de l’obligation légale, c’est un formidable gisement de performance, d’attractivité pour les talents et de pérennité économique. Celles qui l’auront compris auront une longueur d’avance sur leurs concurrentes”.